lundi 22 février 2010

Emma de Jane Austen

Emma Woodhouse vit avec son père veuf. D'une grande beauté et pleine d'assurance, elle évolue en toute indépendance à Highbury, sans aucun souci financier et entourée d'amis fidèles. Pour se distraire, elle décide de s'occuper du mariage des autres, persuadée d'avoir des talents d'entremetteuse. Elle se consacre à sa nouvelle protégée, la très jolie Harriet Smith, qu'elle destine à Mr Elton, le vicaire d'Highbury. Les plans de la jeune fille semblent en bonne voie, mais ses certitudes vacillent lorsque les évènements prennent un tour inattendu: ses propres manoeuvres lui vaudront bien des déconvenues...

Emma est une jeune femme très particulière. Impétueuse et doucement autoritaire, elle mène son petit entourage au gré de ses envies. Toujours sur le qui-vive, elle ne trouve rien de plus divertissant que de guetter les faits et gestes de chacun afin de les interpréter selon ses désirs. Sa première impression n'est pas souvent la bonne mais elle a la qualité de reconnaître ses erreurs et de se remettre en question. Cette héroïne peut susciter une impression désagréable au travers de ses snobismes et de ses pensées égocentriques mais je l'ai trouvé très attachante et vraiment divertissante. Le personnage qui lui donne le plus de fil à retordre est le très charmant Mr. Knightley dont les avis s'opposent souvent à ceux d'Emma. Honnête sans être désagréable, il n'est pas du genre à se laisser duper par les caprices ni les méprises de la jeune femme. C'est cette dynamique qui rend leur relation si particulière, c'est toute la beauté de trouver derrière l'amitié un grand amour. Mr Knightley est doté d'un esprit de discernement ainsi que d'une perspicacité exceptionnelle. C'est un personnage sur lequel on se repose volontiers et à qui on accorde spontanément du crédit. Il est galant et bienveillant, un vrai gentleman!

Ce qui est très agréable chez Austen, c'est que les personnages principaux ne portent pas uniquement sur leurs épaules le roman, elle arrive très habilement à fournir au lecteur une nuée d'autres personnalités. Ils sonnent juste et ne sont pas seulement de simples prétextes à la grandeur des héros, ils sont un véritable plus pour le récit et donnent à l'histoire toute sa richesse. L'hypocrisie à peine voilée de Franck Churchill est vraiment irrésistible! Mr Woodhouse et son obsession de la santé de son entourage, Miss Smith trop influençable (qui ne le serait pas face à Emma?) mais néanmoins touchante, Mrs Weston et Miss Bates qui est tout à fait à l'image du roman: d'une extrême loquacité! J'ai particulièrement apprécié le récit concernant les pommes au four. Même si Emma ne souffle pas mot, on parvient à ressentir son agacement et son inconsciente jalousie. Tout est mené avec finesse et humour dans un style ironique doux-amer. Concernant Mrs Elton (& Mr Elton), je partage l'avis d'Emma: "une petite parvenue, vulgaire, avec son Mr Elton et son caro sposo, ses ressources naturelles, sa prétention effrontée et son élégance quelconque." Ils m'ont vraiment énervée ces deux-là! Ce passage démontre par ailleurs le caractère snob de l'héroïne. Même si Emma n'est pas le roman que je préfère d'Austen, il n'a pas son pareil! Je peux concevoir qu'on puisse ne pas apprécier son côté bavard mais il a été pour moi une lecture savoureuse.

J'ai envie de me replonger dans les adaptations qui en ont été faites. Revoir celle avec Gwyneth Paltrow que j'avais découverte il y a un bout de temps maintenant (beaucoup aimé) et dont je ne me rappelle plus les détails. Mais aussi l'adaptation de la BBC avec Kate Beckinsale et la dernière en date de 2009 (que je dois encore commander) avec Romola Garaï, une actrice que j'aime assez et qui semble parfaite pour le rôle d'Emma... Une interprétation favorite?

Lu dans le cadre du challenge

Jane Austen, Emma, Archipoche éditions, 530 pages, 2009

mercredi 17 février 2010

L'affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

Dans le monde de Thursday Next, la littérature fait quasiment office de religion. A tel point qu'une brigade spéciale a dû être créée pour s'occuper d'affaires aussi essentielles que traquer les plagiats, découvrir la paternité des pièces de Shakespeare ou arrêter les revendeurs de faux manuscrits. Mais quand on a un père capable de traverser le temps et un oncle à l'origine des plus folles inventions, on a parfois envie d'un peu plus d'aventure. Alors, lorsque Jane Eyre, l'héroïne du livre fétiche de Thursday, est kidnappée par Achéron Hadès, incarnation du mal en personne, la jeune détective décide de prendre les choses en main et de tout tenter pour sauver le roman de Charlotte Brontë d'une fin certaine...

J'avais entendu énormément de bien de la saga littéraire de Fforde et je ne peux que confirmer ces considérations au terme de ma lecture. Dans ce premier tome (d'une série de cinq - le sixième doit paraître pour janvier 2011), nous entrons dans une sorte de monde parallèle où la littérature n'est pas seulement le fait de l'amour de quelques-uns mais occupe une place vraiment prépondérante dans la vie des individus. Les grands auteurs et leurs ouvrages sont l'opium du peuple. Ainsi, nous sommes peu surpris lorsqu'on apprend qu'au sein des opérations spéciales (Op Specs), il y a une division entièrement destinée à la littérature et communément appelée la brigade littéraire ou Op Specs 27. Comme vous pouvez vous en douter, c'est de cette brigade dont fait partie Thursday Next, notre héroïne.

Le roman s'ouvre sur le vol du manuscrit original de Martin Chuzzlewitt de Dickens par un certain Hadès qui semble se livrer à pareilles infamies par simple amusement. Il est capable d'user de stratagèmes de dissimulation absolument inédits et c'est à Thursday qu'incombe la tâche de le retrouver. S'enchainent alors embuscades, remises de rançons, menaces... Hadès ne recule devant rien, pas même le meurtre d'un personnage du roman. Le lecteur se laisse surprendre avec avidité par le récit très habilement mené. L'histoire prend en vitesse et devient hautement addictive lorsque l'abominable Hadès parvient à enlever l'héroïne de Charlotte Brontë. Sauver le roman qui lui est très cher devient alors le mot d'ordre de Thursday qui s'emploiera à livrer un combat sans merci à ce criminel sans nom.

Le plus délectable fut pour moi de me retrouver du côté de Thornfield Hall et de poser un nouveau regard sur cette histoire que j'aime tant. La fin que nous connaissons au chef d'oeuvre de Charlotte Brontë aurait-elle réellement quelque chose à voir avec la célèbre Miss Next? Rendre Jane à Edward Rochester était le plus beau cadeau que l'on puisse faire au roman. Quelle frustration de se dire qu'à l'origine Jane partait pour les indes avec Rivers!

J'ai vraiment adoré me plonger au coeur de l'univers de Fforde: les dodos, les Shakesparleurs, les inventions de l'oncle de Thursday dont le portail de la prose (à l'origine malheureusement de ces enlèvements), la voiture très particulière de Thursday, les failles temporelles et leurs agents mais aussi et surtout cette fascination qu'entretient la population pour les ouvrages des grands auteurs ainsi que cette connexion particulière qui les lie. A l'heure où ouvrir un livre est presque tare aux yeux de certains, l'existence d'un tel monde fait véritablement rêver tout amoureux des livres! Inutile donc de dire que je me plongerai avec le plus grand plaisir dans le second tome Délivrez-moi, si?

Jasper Fforde, L'affaire Jane Eyre, 10/18, 410 pages, 2005

lundi 8 février 2010

Sang d'encre de Cornelia Funke

Meggie et ses parents savourent leurs retrouvailles lorsque Farid apporte une nouvelle bouleversante: prêt à tout pour revoir les fées et sa famille, Doigt de Poussière a regagné le Monde d'encre, ignorant qu'un grand danger l'attend. Farid et Meggie décident de partir à sa recherche. C'est le début d'un voyage incroyable.., et terrifiant. Le deuxième tome d'une magnifique trilogie fantastique par l'un des plus célèbres auteurs contemporains pour la jeunesse.

Dans ce second tome, Cornelia Funke emmène son lecteur en plein coeur du monde d'encre. On y fait la découverte d'un univers très riche, à la vie très dense: des elfes de feu, des nixes, des fées, des kobolds, des funambules, une forêt sans chemin, la ville d'Ombra, le chateau de la nuit...

A côté de ce paysage hors du commun, nous faisons la connaissance de personnages typiques et attachants, en plus de continuer le chemin en compagnie de Meggie, Mo, Farid, Resa ou encore Doigt de Poussière qui reste, au terme de ce second tome, mon personnage préféré. Doigt de Poussière est un amoureux de la nature, de la liberté et de son pays. Il parle au feu et celui-ci lui obéit: des noms apparaissent, flamboyants sur les parois de murs sombres, des fleurs de feu dansent pour lui, le feu est même capable de le rendre invisible. Mais Doigt de Poussière n'est pas que ça. Son attachement grandissant pour Farid, ce jeune garçon sorti de nulle-part qui s'est mis à le suivre, son lien très fort pour Roxane, son affection par ailleurs pour Resa, sa complicité avec ses martres, son agacement face à Fenoglio (que je partage totalement) et sa maîtrise de lui-même font de lui un personnage emprunt d'une humanité exceptionnelle, avec ses grandes qualités mais aussi ses défauts. Et c'est véritablement à lui que le monde d'encre doit toute sa saveur.

Alors que dans Coeur d'encre, toute l'aventure se déroule dans le monde de Meggie et de son père, c'est dans celui de Doigt de Poussière que Sang d'encre nous emmène. Avec lui comme guide, on ne peut que tomber en admiration devant la beauté de ces paysages et la magie des êtres qui le peuplent, et on oublie à quel point le monde d'encre peut être cruel quand on atterrit de l'autre côté de la forêt sans chemin, là où le château de la nuit reflète dans son habillage d'argent toute la cruauté des sujets qui l'occupent.

Même si j'ai vraiment apprécié cette apnée palpitante au coeur d'un monde fait de mots, je dois dire que ma lecture a souffert de quelques longueurs. Le premier tiers du livre se lit rapidement, on est de suite emporté par le style et l'histoire que nous conte l'auteure. Mais le deuxième tiers s'essoufle. Les personnages sont presque tous séparés, l'histoire avance lentement voire à l'arrêt. On suit tour à tour les aventures des uns et des autres avec trop de recul, on n'est plus qu'un spectateur extérieur un peu las devant tant de cruauté et de malchance. L'histoire reprend ensuite peu à peu ses droits et la lecture s'achève sur une note positive. Certes, la fin est triste mais une lueur d'espoir brille à l'horizon. Elle annonce un troisième et dernier tome palpitant.

Malgré ses quelques points faibles, Sang d'encre reste une lecture vraiment passionnante, il vaut vraiment le coup. Cornelia Funke nous démontre encore l'infini de son imagination et son remarquable talent de conteuse. Les émotions passent très bien et à côté de la peur omniprésente (que ce soit chez le lecteur ou chez les personnages), on ressent aussi les palpitations du premier amour, l'absence qui fait mal, l'émerveillement devant la magie, le courage, l'amitié, la force de la famille, le thème de la mort qui jalonne tout le récit mais aussi et surtout... l'incroyable et dangereux pouvoir des mots.

Cornelia Funke, Sang d'encre, Gallimard jeunesse, 671 pages, 2009